Qui était Philippine Duchesne ?

Elle naquit dans une famille aisée de Grenoble le 29 août 1769.

C’était encore la vieille France, mais certaines de ses idées en faisaient pressentir une autre.

Plusieurs de ses proches furent y des hommes publics influents, négociants aisés, avocats au barreau de Grenoble. La famille de sa mère, les Perier, riches industriels, se fit un nom dans la politique et lors des Etats généraux du Dauphiné en 1788 et de l’affaire du Parlement de Grenoble.

Le grand-père de Philippine, Claude Perier (1742-1801), aida de ses deniers la préparation du coup d’Etat du 18 brumaire. Il fut l’un des fondateurs de la Banque de France en 1801.

Casimir Perier, le cinquième de ses fils, devint Premier ministre de Louis-Philippe en 1831 (il mourut du choléra en 1832). Son fils Auguste Casimir-Perier (1811-1876) fut ministre de l’Intérieur dans le gouvernement d’Adolphe Thiers. Son petit-fils Jean Casimir-Perier (1847-1907) devint un éphémère président de la République française (1894-1895).

A 10 ans, Philippine commence son éducation à Sainte-Marie-d’en-Haut, le couvent de la Visitation de Grenoble. Au cours du XVIIIeme siècle, sa famille lui avait donné plusieurs religieuses. 

Là était un prêtre qui avait été missionnaire auprès des Indiens de l’Illinois. A l’écoute de ses récits de mission, Philippine rêve de partir un jour au Canada ou en Chine, pour y gagner le martyre.

La Révolution

En 1787, âgée de dix-huit ans, elle quitta sa famille pour entrer au noviciat, malgré le désaccord de son père. Elle se fit remarquer par sa piété et ses heures d'adoration au pied du Saint-Sacrement. 

Elle avait vingt ans lorsque éclata la Révolution. Philippine voit son projet personnel contrecarré. Les vœux de la religion sont interdits. Les Visitandines sont expulsées en janvier 1991. Elle rejoint donc sa famille dans la propriété de campagne qui devait servir de refuge. Philippine écrit :

Je trouvai dans ce temps-là, chez mon père, des Heures où était la prière de Saint François-Xavier pour la conversion des infidèles ; dès lors je n’ai cessé de la faire tous les jours depuis vingt-quatre ans.

Le couvent des Visitandines est transformé en prison. Les révolutionnaires y entassent vénérables religieuses, dames de haut rang, grands seigneurs et saints prêtres. En ces temps de barbarie, on touche aux frontières de l’humain et Philippine y est confrontée sans le vouloir. 

Tous y traînaient une vie menacée par le couperet toujours suspendu sur leur tête.

À travers le comportement de prêtres réfractaires pris dans le filet de la machine infernale, elle comprend que la Justice de Dieu a le visage de la Miséricorde.

Philippines fonde une association « Les dames de la miséricorde » dans le but de procurer aux prisonniers des secours matériels et spirituels. De plus elle visite des malades auxquelles les prêtres ne peuvent plus procurer les secours de la religion. 

La première communauté à Grenoble

Les temps orageux passé, le 3 mai 1800, Philippine fait un pèlerinage à La Louvesc au tombeau de Saint François Régis, l’apôtre des Cévennes, du Vivarais et du Velay qui furent transformés par son apostolat sous le règne de Louis XIII.

Je partie de la

Je partis de La Louvesc bien occupée de procurer l’instruction des pauvres à l’exemple de Saint François Régis.

A cette époque, dans toutes les villes, il y avait des garçonnets abandonnés à la rue car il n’y avait plus d’écoles. En leur offrant de la nourriture, elle réussit à en réunir quinze ou vingt. 

J’y eus quelques consolations. Plusieurs de ces enfants, qui ignoraient le nom des trois personnes divines, apprirent tout le catéchisme, leurs prières et plusieurs cantiques, qu’ils répétaient à leurs parents.

La future missionnaire des Indiens d’Amérique préludait déjà à ce lointain ministère. Le 14 décembre 1801, elle devient locataire du couvent de Sainte-Marie-d’en-Haut, alors bien national, grâce à des aides influentes. Le couvent est dans un état lamentable après dix ans, utilisé comme prison puis asile de mendiants. Philippine éprouve alors

Tous les contentements de sainte Thérèse (d’Avila) balayant son monastère.

Avec l’aide de sa famille, Philippine dispose d’un réseau relationnel influent et aisé pour 

Préparer la demeure où tant d’âmes viendront recueillir la parole de Dieu et en porter les fruits au loin dans le monde. Il s’agit d’arracher les âmes à leur commun ennemi.

Avec Madeleine-Sophie Barat

Madeleine-Sophie Barat, qui, de son côté, a fondé une première école à Amiens, vise à

Former de jeunes élèves, de toutes les nations, à l’esprit d’adoration et de réparation et à répandre la Bonne Nouvelle de l’Évangile dans toutes les nations.

En 1804, Philippine entre donc dans la société de Madeleine-Sophie et Sainte-Marie-d’en-Haut devient la seconde école de la Société du Sacré-Cœur. En 1806, elle écrit à sa supérieure : 

Je me déterminerai à m’offrir pour instruire les idolâtres de la Chine ou autres pays.

Mais, dans une vision, le Jeudi saint 1806, le seigneur lui fait voir que son désir missionnaire se réalisera auprès des Indiens d’Amérique du Nord. Mais pour entreprendre une telle aventure la congrégation doit d’abord se consolider.

Enfin, en mai 1817, Madeleine-Sophie Barat consent à organiser le départ de cinq religieuses pour la Louisiane sous la responsabilité de Philippine.

Le voyage

Elles quittent Bordeaux le 19 mars 1818 pour un voyage bien difficile. Philippine a quarante-neuf ans. Tout est danger, la mer, le ciel, la nuit, les rencontres. La peur est au rendez-vous. Philippines écrit :

Pendant ce voyage, Dieu abat tout orgueil. Je l’en bénis.

La traversée de l’Atlantique dure soixante-dix jours. Elles arrivent à la Nouvelles-Orléans le 29 mai. Cependant, après une attente de quelques semaines, elles sont envoyées à Saint-Louis du Missouri. La remontée de Mississippi se fait sur un bateau à vapeur et dure quarante jours pour parcourir 1200 kilomètres.

Philippine écrit des nombreuses lettres fort intéressantes, où elle s’insurge, par exemple, de l’existence des esclaves noirs dans les villes du Sud. Les religieuses arrivent enfin le 22 août 1818 à Saint-Louis où une forte déception attend Philippine : leur mission ne s’adressera pas aux Indiennes, mais aux Américaines, ainsi en a décidé l’évêque du lieu.

L’installation est très difficile, disette, grand froid, pas d’eau potable. Les religieuses sont contraintes de déménager plusieurs fois dans le plus grand dénuement. Leur seul recours est « Dieu seul ».

Il n’y a pas de difficultés sauf pour ceux qui s’inquiètent trop pour demain.
 
écrit Philippine. Et il faut parfois attendre un an ou dix-huit mois pour recevoir les réponses de Paris tant les courriers postaux sont lents et aléatoires, ce qui ne l’empêche pas d’écrire de nombreuses lettres. Sur la décision de l’évêque, elles vont à Sait-Charles, 

le village le plus reculé des États-Unis sur le Missouri qui n’est fréquenté que par ceux qui trafiquent avec les Indiens.

Grande déception missionnaire. Mais cette femme de grand caractère écrit :

Je suis là où Dieu veut que je soit, et j’ai donc trouvé le repos et la sécurité. Sa sagesse me gouverne. Sa puissance me défend. Sa grâce me sanctifie. Sa miséricorde m’entoure. Sa joie me soutient et tout va bien pour moi.

Un nouveau chemin spirituel

Philippine se voit tel un vieux chêne parmi les orages. (…) Je vais les yeux fermés. La Providence ouvrira la voie ; s’il Lui plaît. (…) La Providence est là et nous comptons tellement sur elle, que nous tiendrons ferme à notre poste. (…) Je sens toutes les épines de la situation où nous sommes. Cependant j’ai la paix et suis disposée à perdre l’espoir du martyre de sang trop glorieux, pour gagner celui des peines, contradictions, humiliations.

Elle renonce à son idéal missionnaire, 

« pour gagner » l’union du Christ, « figure du serviteur » (…) Nous sommes le grain pourri dans la terre. En ce moment à peine pouvons-nous nous retourner, mais nous sommes pleines de confiance, toutes animées de la persévérance, dans l’espérance que les fruits paraîtront un jour. Il importe peu de les goûter en cette vie, pourvu que Dieu soit servi.

Confiance et espérance les propulsent vers un avenir qui leur échappe.

Malgré toutes les difficultés matérielles, financières, et spirituelles, six établissements sont ouverts en dix ans, trois en Louisiane et trois en Missouri.

Philippine raconte ses voyages rocambolesques avec vaches, cochons et poules, dans des charrettes et des barques, son mode de vie spartiate dans la simplicité champêtre et la bonne humeur.

Philippine, de Missouri en Louisiane, et de Louisiane en Missouri, fonde des maisons qui accueillent des jeunes filles pensionnaires et des postulantes. Des religieuses sont peu à peu envoyées de France et les établissements du Sacré-Cœur au Nouveau Monde acquièrent une bonne renommée.

L’apostolat auprès des Indiennes

Dans le Missouri, œuvrent les Jésuites. Ils font appel aux religieuses. En 1826, l’établissement du Sacré-Cœur compte dix Indiennes et trente-quatre Américaines. Cette mixité raciale est une grande victoire sur les préjugés locaux. Pourtant, faute de subsides et personnel, ce petit pensionnat sera supprimé un an plus tard car les subventions promises par le gouvernement n’ont pas été versées.

Cependant, un riche propriétaire de Saint-Louis fait un don important à condition que le pensionnat et l’externat reçoivent une dizaine d’orphelines.

Le contrat est signé le 6 avril 1827.

Ne pas regarder en arrière, ni avancer vers le futur. Ne réclamer que le présent, car il contient la volonté de Dieu (…)

Cela me remplit de joie de réaliser que je peux donner ma vie tous les jours pour Dieu, que je peux la sacrifier volontairement pour Lui. Je ne peux pas être une martyre de la foi. Mais je peux être une martyre de la charité.

Ainsi en dix ans, la Société du Sacré-Cœur compte au Nouveau Monde, six maisons, vingt-sept religieuses dont seize américaines et vingt-cinq novices. Dans les écoles l’enseignement se fait en français et les religieuses américaines doivent apprendre le français. L’expansion a été rapide. Cependant Philippine, par humilité, demande à Madeleine-Sophie Barat de ne plus être supérieure. Néanmoins son élan missionnaire ne cesse de rebondir malgré une santé qui se dégrade.

En 1840, Madeleine-Sophie Barrat envoie la princesse Galitzine comme assistante générale pour l’Amérique. Cela permet à Philippine de consacrer davantage de temps à la prière comme était son souhait souvent exprimé dans sa correspondance. La même année, elle obtient l’autorisation d’effectuer une mission auprès des Indiens Potawotamis à la mission de Sugar Creek dans le Kansas. Elle y est très bien reçue. Elle est accompagnée de quatre Jésuites, trois jeunes religieuses, un domestique noir et un métis sioux interprète. La petite troupe arrive à Sugar Creek au bout de douze jours de voyage :

Nous sommes enfin sur les terres tant désirées.

C’est le cri du cœur.

Philippine est pour les Potawotamis « la femme qui prie toujours ». Sa santé ne lui permettant plus de participer aux travaux de la vie quotidienne, elle passe de longues heures à prier devant le tabernacle sans se lasser.

Les dernières années

Après un an passé chez les Potawotamis, elle revient à Saint-Charles sur le Missouri, près de Saint-Louis. Elle passera les dix dernières années de sa vie dans la souffrance d’une santé déclinante et le secret de Dieu. Six mois avant sa mort, elle écrit encore son souhait d’ouvrir des écoles au Kansas pour les Indiens. Elle va recevoir avant sa mort la visite de la révérende Anne du Rousier, originaire du Poitou, qui part, avec cinq autres religieuses pour le Chili… par la voie terrestre. Elles aussi sont des vraies aventurières. Deux religieuses mourront en route, tant le voyage fut périlleux.

Le 18 novembre 1852, Philippine Duchesne décède à 83 ans. Il y a trente-quatre ans qu’elle est en Amérique.

Elle sera béatifiée par Pie XII en 1940 et canonisée par Jean-Paul II en 1988.

Ce fut un évènement d’importance en Amérique du Nord. Philippine Duchesne est allée aux frontières des tribus indiennes et des États américains. Son attention aux futurs acteurs de la société américaine comme aux plus démunis était inlassable. Elle alla vers eux avec une confiance indéfectible en la présence de l’action du Christ.

Marie Rault-Ferré

A la une

S'abonner à notre lettre hebdomadaire

Si vous désirez recevoir régulièrement et gratuitement la lettre de Paix Liturgique, inscrivez-vous.
S'ABONNER

Paix Liturgique
dans le monde

Parce que la réconciliation liturgique est un enjeu pour toute l'Église universelle, nous publions tous les mois des lettres dans les principales langues du monde catholique. Découvrez et faites connaître nos éditions étrangères.

Télécharger notre application

Soutenir Paix Liturgique