Notre lettre 1194 publiée le 30 avril 2025
LE CARDINAL BURKE
UN ENFANT DU COEUR DE L'AMÉRIQUE
QUE LE PAPE FRANÇOIS
A MIS A L'ÉCART
MAIS QUI AJOURD'HUI SE RELÈVE
Un article de Luigi Bisignani
Publié dans ILTEMPO du 28 avril 2025
Dans l'histoire de l'Église, les projets des hommes finissent souvent par être bafoués par les caprices du destin. Quelques jours après la mort de François, le nom qui revient dans les couloirs obscurs du Sacré Collège est un nom que beaucoup croyaient archivé à jamais : Raymond Leo Burke. L'homme que le pape avait voulu confiner dans l'insignifiance refait surface, évoqué par les chuchotements des cardinaux, certes parmi les faiseurs de roi du prochain conclave, mais pour certains même comme un pape possible. Soixante-quinze ans, un physique imposant, des mâchoires ciselées, un sourire ironique et acéré, Burke est un fils de l'Amérique profonde, avec du sang irlandais dans les veines et la bataille pour la tradition dans le cœur. Fondateur du sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe à La Crosse, aux États-Unis, il a toujours été le rempart d'une Église ancrée dans l'ancienne liturgie, dans la défense de la vie de la conception à la mort naturelle, dans la famille comme mystère sacré entre l'homme et la femme. Non-vaccin convaincu à l’époque du Covid qui a failli l'emmener dans l'autre monde, profond connaisseur du droit canon, il avait prévu avant beaucoup le séisme qui se préparait sous le pontificat de François. Et lorsque Benoît XVI, dans les années de son règne doux et dramatique, voulut lui confier la direction du Tribunal suprême de la Signature apostolique et de la Cour de cassation du Vatican, Burke devint l'un des gardiens de l'ordre ancien.
C'est précisément sa formation juridique qui a fait de lui l'un des critiques les plus sévères du motu proprio par lequel François a réformé le système judiciaire du Saint-Siège, abolissant les anciens privilèges et soumettant les cardinaux et les évêques à un jugement au premier degré. Pour Burke, il s'agit d'une vulnérabilité pour la tradition, d'un pas vers une justice politisée, comme le montrent les développements sensationnels du procès Becciu. Il vit à Rome, cardinal prêtre de Sainte Anne des Goths une petite église fondée par Flavio Ricimero au cœur de la ville éternelle, entre la Banque d'Italie et le Viminale. Pas d'affectation officielle, pas de position de pouvoir visible. Pourtant, son appartement est resté un carrefour silencieux : cardinaux, évêques, monsignori, en franchissent le seuil d'un pas discret. Ils cherchent un conseil, un réconfort, peut-être un mot pour redonner du sens à ces temps incertains.
Dubia
Le cardinal a posé des questions théologiques à Bergoglio. La plus importante, celle concernant l'eucharistie pour les divorcés sans conversion de vie, n'a jamais reçu de réponse de la part de François.
Là, entre les murs nus et les livres usés sur Notre-Dame de Fatima - de laquelle Burke est dévôt jusqu'à l'émotion - on prie, on écoute, on s'assoit. C'est dans ce silence que le cardinal a forgé sa lente renaissance. Le tournant a eu lieu en 2016, lorsque, avec Carlo Caffarra, Walter Brandmüller et Joachim Meisner, il a signé les Dubia, à savoir des questions formelles adressées au pape François après l'exhortation apostolique Amoris laetitia. La première question, un brûlot, demandait si les divorcés remariés pouvaient recevoir l'eucharistie sans conversion de vie. La réponse n'est jamais venue. Pas même de réponse à sa demande d'audience, respectueusement formulée en avril 2017. Il n'y a pas eu de polémique, pas d'éclat public, juste un silence, accepté comme une invitation à méditer sur les rouages mystérieux de la Providence.
Dans les couloirs feutrés des Congrégations, ses mots résonnent encore aujourd'hui : la dénonciation de la « culture anti-famille, anti-vie, anti-religion », la condamnation des rêves mondialistes qui visent à « éliminer les nations pour soumettre le monde à une seule autorité totalitaire, en oubliant que c'est Dieu qui gouverne ». Même sur l'immigration, il n'a jamais hésité : « Ceux qui sont accueillis doivent respecter avec gratitude le patrimoine spirituel et matériel du pays d'accueil, obéir à ses lois, assumer ses devoirs civils ».
Motivations
L'américain mis à l’écart rassemble aujourd'hui le consensus de ceux qui, fatigués des révolutions non suivies, rêvent d'une Eglise plus solide, plus sûre et plus romaine.
Dans le jeu séculaire des échanges entre cardinaux, sa revanche n'a pas besoin d'être proclamée. L'Américain mis à l'écart hier, rassemble aujourd'hui le consensus de ceux qui, fatigués des révolutions sans suite, rêvent d'une Église plus solide, plus sûre, plus romaine. Et comme souvent dans les labyrinthes du Vatican, le vrai pouvoir grandit dans l'ombre. Burke ne propose pas, ne demande pas, ne manœuvre pas. Son nom circule non pas comme celui d'un vainqueur désigné, mais comme l'aiguille capable de faire pencher la balance, de faire exploser les plans, de montrer la voie. Et c'est lui, murmure-t-on, qui mène le front silencieux des Américains, des Africains, des Européens qui voient dans le pontificat de François plus de décombres que de réalisations. L'ironie du sort plane lourdement sur tout cela : l'homme même que François voulait faire taire risque maintenant de devenir l'un des architectes de l'avenir. C'est ainsi que fonctionne le Vatican », murmure-t-on dans les palais sacrés. Personne n'est jamais vraiment fini avant d'être enterré. Et souvent, ce n'est même pas le cas ». Burke, quant à lui, reste imperturbable. Il fréquente peu de monde, parle encore moins. C'est peut-être dans son propre exil que Raymond Burke a trouvé sa plus grande force : libre de toute nomination, libre de tout jeu de pouvoir, il est devenu ce que François craignait qu'il ne devienne. Un symbole vivant de la Tradition.