Notre lettre 1024 publiée le 13 avril 2024

PIC DE LA MIRANDOLE
OU TRISSOTIN ?

LA CHRONIQUE DE PHILIPPE DE LABRIOLLE
A PROPOS DE MGR EYCHENNE
EVEQUE DE GRENOBLE



Mgr Jean Marc Eychenne, évêque de Pamiers de 2014 à 2022, est l’actuel évêque de Grenoble. Ordonné prêtre en 1982 par le Cardinal Siri, car formé par la Communauté Saint Martin exilée à Gènes dès sa fondation en 1976, l’abbé Eychenne, après quelques années au service de la Maison Mère, a rejoint le diocèse d’Orléans. En 1994, il quitte sa Communauté d’origine, et se fait incardiner là où « il a appris à devenir prêtre », à l’en croire.

Sympathique, plein d’allant, astucieux, l’abbé Eychenne a franchi les degrés pastoraux avec aisance. Il devient en 2009 le vicaire général de Mgr Fort, évêque plutôt conservateur qualifié la même année d’ « évêque calamité épiscopale » (sic) par un Golias tout en nuances. Mgr Blaquart, qui prend la relève en 2011 sur le siège de Mgr Dupanloup, et quoique l’antithèse de son prédécesseur (donc très apprécié de Golias) confirme le vicaire général dans son poste ; jusqu’à sa promotion épiscopale à Pamiers, dont il est natif. Diplomate, habile, excellent prédicateur, il n’aurait pas volé sa mitre. Accueil enthousiaste en Ariège pour l’enfant du pays. Golias est sous le charme…

Deux ans plus tard, le diocèse de Pamiers déchante, parait-il, au point que Golias, en 2016, qualifie l’évêque de « serpent ». En 2018, « solitaire » comme trait dominant, l’Ordinaire ne change pas d’espèce : « Jean Marc Eychenne apparaît comme un serpent, çà et là, estimant que pour faire passer ses idées il vaut mieux ne pas trop les affirmer comme ces identitaires catholiques qu’il connaît bien. Mais le but est identique ». Bref, le séducteur n’en fait qu’à sa tête pensante. Et le pronostic est à l’avenant : Saint Martin un jour, Saint Martin toujours. Damned !

Les années passant, le séducteur fait preuve d’un entregent que le chantier synodal va mettre à profit. Le long développement sur l’esprit missionnaire que Mgr Eychenne donne à la Nouvelle revue théologique en 2024 énonce la doxa, en langue française, qu’anime la gnose des évêques français. Le texte complet de cet article est disponible sur le site du diocèse de Grenoble. Il est impossible d’en rendre compte de façon exhaustive sans paraphrase laborieuse. Mais la dialectique de l’évêque de Grenoble s’adosse à la candeur de ses lecteurs pour y dégorger son venin. Cependant que les initiés lui donneront acte de son talent pour ramper avec discrétion vers ses victimes. Le beau langage impressionne, non par sa clarté, mais par la polysémie qu’il sert sur un plateau. Chacun peut extraire ce qu’il veut de cet étalage, et se rassurer à bon compte quelle que soit son attente. L’Ordinaire doit rire sous cape de savoir enfumer à sa guise. Parcourons l’opus :

Le titre d’abord : « une Eglise missionnaire par nature, et donc synodale. Réflexions pour la suite du Synode sur la Synodalité ». Plus synodal qu’Eychenne, tu meurs. C’est du langage codé. Missionnaire, tout le monde comprend. Synodal, c’est pour les initiés. Le ton est donné. Pour comprendre la glose Eychenne, glose de la CEF, il faut un traducteur, mieux, un coach, sinon, on y voit que du bleu. C’est comme pour lire Kant,« cet allemand qui parle chinois », selon Nietzsche. Ou Hegel, sans les généreuses notes de Jean Hippolyte.

Le texte de référence, pour l’auteur, c’est le Décret « Ad Gentes » du Concile Vatican II, AG pour les intimes. Il s’agit d’un décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise, voté par 2394 voix contre 5, et promulgué le 7 décembre 1965. Quoique AG soit indissociable de LG (Lumen Gentium, Constitution Dogmatique, votée par 2151 voix contre 5, et promulguée le 21 novembre 1964), c’est AG qui contient l’essentiel, précise l’auteur. Ah bon ! Mieux encore, c’est le making-off, non restitué par le texte soumis au vote qui retient l’attention de l’Ordinaire. Peu de gens ont lu les Actes du Concile. Qui s’est donné la peine de lire les scories d’un débat, au point de préférer y puiser la substantifique moelle négligée par la rédaction ultime, votée à la quasi-unanimité ? Pourquoi lire AG, si l’essentiel n’y est pas, surtout si le lien indissociable avec la Constitution Dogmatique permet à Eychenne de dogmatiser AG tout en cherchant ailleurs…Silence dans les rangs, on pense pour vous…

AG développe une théologie missionnaire parfaitement classique, fondée sur Mc 16,16, dont l’énoncé ne figure pas au-delà de la référence évangélique. Rappelons-la, contrairement à l’auteur synodal : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné ». Un tel commandement, en exergue codée en préambule d’AG, voilà qui complique la tâche du trompeur, fut-il mitré. Lui-même s’arrête à Mc 16,15, à savoir « Allez par le monde entier prêcher l’évangile à toute créature ». A moins que vous ayez mieux à faire ? L’unité du genre humain, obsession du pape Paul VI et du pape argentin, n’a de sens chrétien qu’au sein de l’Eglise unie au Christ, et nous savons bien, AG aussi, que l’Eglise ne rassemble pas l’intégralité de l’espèce humaine, sur la foi du ratio des baptisés. Ce qui n’est pas la préoccupation de « Fratelli Tutti », et le contresens vient de haut.

Prêter à Vatican II un regain missionnaire que l’Eglise aurait négligé nonobstant Mc 16,16 est un énorme mensonge qu’AG se garde bien d’avancer. Tout au contraire, c’est en contradiction de LG (dogmatique) complété par AG (décret), que s’est imposée l’audace de Gaudium et Spes (constitution pastorale, c’est à dire peanuts) résumée en GS 22-5, qui a ruiné l’effort missionnaire magnifique des 19e et 20e siècles en particulier. Le venin de GS 22-5, le voici : « (…) nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît (sic !), la possibilité d’être associé au mystère pascal ». Les ravages de cette citation sont manifestes dans la démobilisation généralisée des prédications missionnaires qu’aucun magistère qualifié, sinon réputé marginal, ne s’est employé à dénoncer.

La toile de fond, de facto, c’est GS 22-5, autrement dit l’universalité du Salut des âmes, celles toutefois qui ne s’y opposeront pas. Et encore. Tout élan missionnaire, car c’est bien de cela que l’auteur synodalisé entend traiter, ne peut donc être confondu avec la mission à l’ancienne, laquelle est présentée comme un « écueil » : « (…) celui de l’affirmation de la valeur universelle et exclusive de la culture judéo-chrétienne et de ses premiers bastions dans l'Orient et l’Occident chrétien qui ont, jusqu’ici, transporté d’une façon privilégiée le message chrétien, en rejetant toute adaptation. Ce serait contraire à l’enseignement le plus clair du Concile ». A lire l’énoncé de cet « écueil », Golias peut s’éponger le front éditorial : l’Ordinaire de Grenoble a bel et bien renié sa formation martinienne : l’Histoire préconciliaire de l’Eglise est une pierre dans le jardin synodal. A l’instar d’Amédée, comment s’en débarrasser ?

A vrai dire, bien malin qui pourrait résumer ce qui constitue en substance « l’enseignement le plus clair du Concile », dès lors qu’aucune définition formelle n’est venue, contrairement aux Conciles précédents, proscrire les erreurs à fuir, et porter l’anathème sur leurs tenants et propagateurs. Ayant longtemps dénoncé les interprétations personnelles de l’Ecriture, germant de lectures non guidées, le Magistère a déploré le contrepied luthérien. Ce qui fit dire à Boileau : « tout protestant fut pape une bible à la main ». Les textes conciliaires, ou le pire côtoie le meilleur, sont un fonds où chacun puise, ou pas, à sa guise. La cacophonie postconciliaire n’a pas d’autre origine. Ce qui, en pratique, a tenu lieu d’enseignement le plus clair du Concile, c’est l’invitation à tenir pour périmé le passé ecclésial, à charge de faire du neuf avec les dépouilles opimes de l’Institution déconsidérée par elle-même.

Ayant fait fond sur AG, exposant avec l’autorité de LG (dogmatique) la nécessité de proroger l’exigence missionnaire, l’auteur n’y trouve rien qui serve un objectif novateur. L’élan encouragé par AG n’est pas un regain. L’esprit qu’y loge, abusivement, l’auteur, est celui d’un carbonaro. Il veut rebâtir la cité de la terre, et pour cela caricature la cité de Dieu que fut la Chrétienté. Mais pour ne pas choquer le bourgeois, qui fait vivre la boutique, il garde les mots, et change le sens des mots.

La mission synodale, ce n’est plus l’objectif chiffrable d’un gain de nouvelles âmes au Christ et à l’Eglise. Convertir à l’ancienne, c’est rêver du triomphalisme d’antan. C’est mal. Les milliers de nouveaux baptisés, en la nuit de Pâques 2024, montent dans le Titanic, pour reprendre la métaphore de Chantal Delsol. Ce que la CEF a en tête, c’est la substitution de l’unité du genre humain à la fonction d’union à Dieu dévolue à l’Eglise par le Christ. C’est un peu hermétique, mais Eychenne passe en force. Comme l’énonce Victor Hugo, « ces choses-là sont rudes. Il faut pour les comprendre avoir fait des études ». Le synodal, c’est « solve et coagula », le « grand œuvre » alchimico-maçonnique, cette prise en masse obscène en lieu et place de la liberté chrétienne. La mission synodale, bien loin de trouver sa source dans AG, ni LG, a pour objectif de faire comprendre que Dieu fera lui-même ce qui doit être fait, dès lors que l’Eglise s’est fourvoyée, et notamment au Concile de Trente. Le prêtre, soldat « professionnel » du Christ, avait vu étoffée sa feuille de route, et rappelé l’honneur de sa vocation. Vatican II en a fait le subordonné docile d’un évêque porté au pinacle (LG 27, hélas). Ironie tragique : les défroqués des sixties ont tout compris avant les autres.

Le salut, depuis l’accueil dithyrambique fait à GS 22-5, c’est l’affaire de l’Esprit Saint. Il faut donc que le prêtre se résolve à l’obsolescence de sa mission sacerdotale. L’objectif d’aujourd’hui, c’est de mobiliser le « Peuple de Dieu », pour y ravaler le prêtre, objet tridentin identifié et ciblé, au sacerdoce commun des fidèles. Un peuple indifférencié, sans hiérarchie entre les baptisés, restant sauve, bien entendu, la transcendance de l’épiscopat. C’est à la condition nécessaire et suffisante que 100% des baptisés se conçoivent et s’activent comme les missionnaires de la paix, dont le passage obligé est l’éreintement du prêtre, que les lendemains chanteront. Débarrassé de cette figure de l’homme séparé pour la gloire de Dieu, le monde n’aura plus d’argument pour repousser l’unité offerte, purgée d’un « alter Christus » trop normatif et encombrant. Détruire l’autorité du prêtre, c’est le prix de la paix, parait-il. La CIASE y voit la quiétude de nos chères têtes blondes. Un bonheur n’arrive jamais seul. Le plus cocasse dans cette vaticination pacifiste, c’est que les évêques croient pouvoir échapper à la curée qu’ils encouragent, d’un « non serviam » apostat mais collectif. Or face aux grands enjeux moraux, ils rampent…

La similitude des discours est patente. Le discours de clôture de l’Assemblée plénière de la CEF, prononcé début novembre 2023 par son président, Mgr de Moulins-Beaufort est le galop d’essai oratoire du texte donné par Mgr Eychenne à la nouvelle revue théologique. Les deux prélats ont en commun, et sans doute avec beaucoup d’autres mitres recyclées, ce que Chrysale, dans « les femmes savantes » de Molière, reproche à Trissotin le pédant : « On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé/Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé ». Bref, on ne perd pas grand-chose à changer de trottoir.

Pour ma part, quand j’entends le mot synode, je sors… mon chapelet, et mon stylo si nécessaire, car derrière l’emploi du mot, il y a toujours une arnaque en embuscade.


Dr. Philippe de Labriolle

Psychiatre Honoraire des Hôpitaux

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