Notre lettre 1020 bis publiée le 3 avril 2024

AFFAIRE MERE MARIE FERREOL
UN TRIBUNAL DE LA REPUBLIQUE
DONNE DES LECONS DE JUSTICE
NATURELLE ET ECCLESISTIQUE
A UN CARDINAL, UN PERE ABBE
ET UNE CONGREGATION RELIGIEUSE…

« L'iniquité des hommes d'Église a contraint une religieuse de s'adresser à une juridiction civile pour qu'on lui rendre justice. Et nous assistons à ce paradoxe ou à cette double honte : c'est un tribunal de la République qui donne des leçons de droit naturel et de droit canonique à un Cardinal de l'Église romaine, à un Père Abbé et une Mère Abbesse et à une Congrégation religieuse. »

Absent par deux fois à l’audience du tribunal civil de Lorient, le cardinal Ouellet s’était cru supérieur à la justice bretonne – cette dernière lui rappelle que l’orgueil est un péché capital, et le reconnaît fautif du préjudice subi par mère Marie Ferréol – Sabine Baudin de la Valette de son nom civil – ainsi que la congrégation de Pontcallec dont elle avait été chassée sans moyens de recours, et les visiteurs canoniques qui avaient couvert et le cardinal, et la congrégation, dans leurs persécutions. Nous avons consulté cette décision.

Comme nous l’expliquions dans notre lettre 967 bis, l’avocate de mère Marie Ferréol avait développé, lors de l’audience cet automne, que la congrégation avait manqué à ses propres règles lors de son renvoi, et avait ensuite fait une croix sur l’obligation de secours – mère Marie Ferréol avait été laissé sans aucune ressource et avait du demander le RSA. Par ailleurs, la religieuse a été persécutée dans le monde entier quand elle a essayé de retrouver du travail, et à l’audience, la congrégation a ajouté la mesquinerie à l’injustice en produisant une trentaine d’attestations de religieuses… dont la moitié provenaient de personnes qui n’avaient jamais vécu en communauté avec mère Marie Ferréol.

Une nouvelle audience avait eu lieu le 6 mars – avec un nouveau délai pour bien s’assurer que le cardinal Ouellet avait été mis au courant des griefs qui lui étaient reprochés. Le jugement énumère les nombreuses relances faites aux autorités romaines et restées sans réponse, et notamment les dernières : « par courrier du 1er mars 2024 accompagné de pièces justificatives, la demanderesse a justifié avoir envoyé à l’entité requise, à Rome, l’acte à signifier, dont il a été accusé réception le 5 septembre 2023 par l’entité centrale italienne à la cour d’appel de Rome. Les relances effectuées par le commissaire de justice, par mails des 29 novembre 2023, 30 novembre 2023 et 5 janvier 2024, demandant à l’entité centrale si l’acte avait pu être notifié à M. Marc Ouellet sont restées vaines »

Cependant, comme l’acte a été transmis selon les modes prévus par les règlements européens, le délai d’au moins six mois s’est écoulé depuis son envoi et qu’aucun justificatif de remise de l’acte n’a pu être obtenu malgré les démarches faites, le tribunal estime qu’il n’y a « plus lieu de surseoir à statuer », que le jugement est réputé contradictoire et donc, que la stratégie de la chaise vide du cardinal Ouellet est vaine.

Dans son délibéré, le tribunal de Lorient a reconnu que chacun des défendeurs avait commis des fautes – à savoir le Cardinal OUELLET, la congrégation des Dominicaines du Saint-Esprit et les visiteurs apostoliques, Dom Jean Charles NAULT et Mère DESJOBERT, abesse de Boulaur.


Les fautes des Dominicaines du Saint-Esprit

Sans surprise, les Dominicaines de Pontcallec ont été reconnues fautives pour l’irrespect de leur propre règlement pendant le renvoi de mère Marie Ferréol. Me Gouvello, l’avocate de la religieuse, énumère : « (aucun avertissement préalable, aucune possibilité de connaître la décision envisagée, aucune information sur des faits précis et datés lui étant reprochés, absence de toute possibilité de se défendre…) ; absence de motif du renvoi (pas de communication faite sur ses fautes, pas de faits précis reprochés, pas d’avertissement préalable, absence de conseil à ses côtés ». Le jugement assène « force est de constater que l’institut des Dominicaines du Saint-Esprit ne s’est pas préoccupé du bon respect de la procédure et des droits de la défense à son égard ».

Le tribunal de Lorient applique l’article 1194 du code civil à la situation : « les contrats obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ». En l’occurrence, « Mme Baudin de la Valette [nom civil de mère Marie Ferréol ] et l’association […] des Dominicaines du saint Esprit […] ont été liées par des obligations réciproques. En échange de [son] engagement dans la communauté, notamment en tant qu’enseignante, l’association s’est trouvée investie envers elle d’un certain nombre d’obligations.

Non seulement l’association en tant qu’entité juridique se devait de respecter ses propres statuts, mais la communauté en tant que membre de la Sodalité des Vierges dominicaines du Saint-Esprit, se devait de respecter sa propre constitution. De plus, en tant que communauté religieuse et en tant qu’association déclarée, elle ne pouvait ignorer ni le droit canonique, ni les règles générales du droit relatives au respect des droits de la défense, outre les droits fondamentaux de la personne, face à une décision grave impactant la vie privée d’une Sœur de la communauté ».

Et de développer longuement l’impossibilité faite à mère Marie Ferréol de « préparer sa défense, sa communauté ne lui ayant donné aucune information sur ce droit, face à la sanction déjà prise […] elle n’a pas pu s’entretenir avec un conseil avant qu’une décision soit prise à son égard et qu’elle soit contrainte de quitter sa communauté en quelques heures, alors que rien ne lui permettait d’envisager la lourdeur de la sanction prise – une exclaustration d’une durée de trois années, renouvelable, avec interdiction de communication avec les membres de l’Institut, sauf accord des visiteurs, obligation de limiter ses contacts avec l’extérieur et obligation de discrétion concernant le lieu de sa résidence […] cette sorte de « mise à pied » à effet immédiat n’était manifestement pas justifiée par un danger grave et imminent que Mme Baudin de la Valette aurait fait courir aux autres membres de l’association ».

De même, si mère Marie Ferréol a été reçue en entretien par les deux visiteurs canoniques, « l’association [des Dominicaines du Saint-Esprit] n’a rien fait pour que le rapport de visite, qui a servi de fondement à la sanction, soit communiqué à l’intéressée […] le contenu du rapport de visite est demeuré inconnu tant pour Mme Baudin de la Valette et ses avocats que pour le tribunal, seul son conseil canonique s’est vu proposer de venir consulter le dossier la veille ou le matin d’un entretien à la Nonciature de Paris où a eu lieu la remise du décret de renvoi définitif du 22 avril 2021 […] Ne connaissant pas les faits, toute défense était impossible, de surcroît seule face aux deux visiteurs ».

Non-respect du devoir de secours : « les fautes sont caractérisées »

De même, le non-respect du devoir de secours par la congrégation, qui a renvoyé mère Marie Ferréol sans aucune ressource ni préparation matérielle, est pointé par le tribunal de Lorient qui constate que mère Marie Ferréol n’a pu « bénéficier dans l’esprit d’équité et de charité énoncé par le droit canonique, de conditions de vie civile décentes, après 34 ans de vie religieuse et de services auprès de sa communauté. En définitive, le tribunal estime que les fautes commises par l’association Dominicaines du Saint Esprit envers Mme Baudin de la Valette sont caractérisées et qu’elles ont contribué pour une certaine part à son préjudice matériel et moral, incluant des ennuis de santé ».

Et ce même si les dominicaines du Saint-Esprit lui ont « remis 1500 euros le 30 avril 2021 et 5000 euros le 30 avril 2022 […] réglé des frais dentaires et […] son avocat canonique (6750 € TTC) », cependant la congrégation n’a jamais fait de propositions de règlement financier au service ad hoc, le SAM, indique le jugement.


« Les visiteurs n’ont pas été habilités à ignorer les règles du droit canonique et les principes généraux du droit »

Le tribunal civil de Lorient reconnaît aussi fautifs les visiteurs canoniques – dont l’action a principalement servi à couvrir les abus de droit de la congrégation et du cardinal Ouellet envers mère Marie Ferréol. Un rôle trouble aux antipodes du respect d’une justice, fusse-t-elle canonique, que développe le tribunal de Lorient : « les visiteurs apostoliques […] se sont assurés de l’exécution immédiate du jugement, comme souhaité par le cardinal Ouellet. Ils ne lui ont laissé aucun délai pour préparer sa défense avec un conseil à ses côtés, ne l’ont pas informée des recours existants, ne se sont pas inquiétés de l’absence d’avertissement préalable à la sanction ».

Dom Jean-Charles Nault en prend particulièrement pour son grade après que le tribunal pointe, que « dans un courrier du 8 décembre 2020, M. Nault ait affirmé » à mère Marie Ferréol que « les droits fondamentaux restaient les mêmes qu’une personne fasse ou non l’objet d’une sanction sur le plan canonique. Malgré cette affirmation, le père Nault s’est opposé à la communication à l’avocat canonique de Mme Baudin de la Valette du dossier disciplinaire de celle-ci et du rapport de visite apostolique, sous prétexte de confidentialité des entretiens réalisés au cours de cette visite, alors même qu’elle avait été éloignée de la communauté », relève le tribunal breton.

« M Nault a compromis l’exercice des droits fondamentaux de la défense, car quel que soit son statut, toute personne a le droit de connaître la nature précise des faits qui lui sont reprochés avant de se voir notifier une sanction. Devant les réclamations de Mme Baudin de la Valette sur ce point, les visiteurs lui ont répondu par courriers qu’il n’était pas nécessaire que les faits reprochés lui soient précisément notifiés car elle les connaissait, ce qui relève d’une conception personnelle mais erronée du droit fondamental de la défense.

Les visiteurs n’avaient pas été habilités à ignorer les règles du droit canonique et les principes généraux du droit parmi lesquels figurent le respect des droits de la défense et le principe du contradictoire. Le tribunal estime que les deux visiteurs, dans l’exercice de leur mission, ont commis des fautes qui ont contribué pour une part au préjudice matériel et moral subi ».


Le cardinal Ouellet dans l’abus de droit total

Le tribunal de Lorient a continué à remettre l’Eglise au milieu du village en constatant qu’il a commis un abus de droit, notamment car il ne relevait pas de ses responsabilités – il était alors en charge des évêques, non des communautés religieuses – d’agir à l’égard d’une congrégation, et aucun mandat du Pape n’a été produit.

Selon le tribunal de Lorient, « en droit canonique comme en droit civil, qui se prétend délégué doit prouver sa délégation ». Le tribunal constate en outre qu’aucun des actes concernant Sr Marie Ferréol n’est signé par le pape mais est au contraire signé du Cardinal OUELLET et de son secrétaire.

Au passage, le jugement constate qu’il « existe un doute sur l’existence réelle de ce mandat spécial » qui aurait été confié par le pape François au cardinal Ouellet, et qui « n’a pas été produit aux débats ». De plus, « il n’a pas été démontré que le décret d’exclaustration, signé du cardinal Ouellet et contresigné par le secrétaire Montanari, aurait reçu une quelconque approbation pontificale ». De même, « il n’a pas été démontré que l’approbation du décret de renvoi du 22 avril 2021 aurait présenté toutes les garanties de conformité, à défaut de confirmation par la Signature apostolique ».

Au passage, le jugement constate noir sur blanc que « le cardinal Ouellet n’a pas respecté les droits de la défense puisqu’il n’a pas permis que le conseil canonique de Mme Baudin de la Valette puisse obtenir communication de son dossier, ni même qu’il puisse le consulter avant que la décision ne soit prise ».


Les attestations contre mère Marie Ferréol ont discrédité l’accusation

Les attestations produites par l’accusation contre mère Marie Ferréol semblent les avoir desservies. En effet le tribunal de Lorient remarque à leur lecture qu’il « existe manifestement un passif relationnel très lourd dans cette communauté » et que « beaucoup de témoignages relatent des élements qui se sont passés il y a de nombreuses années, de petits détails de la vie quotidienne dans une communauté, des mesquineries, […] des généralités sur le caractère, les qualités et les défauts présumés de la demanderesse ».

De quoi faire conclure au tribunal qu’il « ne trouve pas dans ces attestations la confirmation que les motifs très généraux figurant dans les décrets d’exclaustration puis de renvoi de Mme Baudin de la Valette, rédigés par le cardinal Ouellet, étaient réellement fondés sur des faits graves et précis, au demeurant non énoncés, justifiant la lourdeur des sanctions prononcées ».


Le cardinal Ouellet aurait du se récuser en raison de son amitié avec Emilie d’Arvieu

En outre, « le tribunal s’étonne aussi que le cardinal OUELLET, à supposer qu’il ait reçu un mandat spécial du pape pour prendre les trois décrets mentionnés ci-dessus, ne se soit pas récusé, en sa qualité d’ami proche d’une des sœurs de l’institut des Dominicaines du Saint Esprit, Sœur Marie de l’Assomption [Emilie d’Arvieux], dont les positions étaient notoirement opposées à celles de Mme Baudin de la Valette (leur inimitié n’ayant pas été contestée par les défendeurs). »


Les décisions du cardinal Ouellet contre mère Marie Ferréol qualifiées d’abusives

Le tribunal conclut que « s’agissant des motifs de l’exclaustration, faute d’énoncé et de preuve des faits précis et datés reprochés à Mme Baudin de la Valette, le tribunal doit en conclure que la décision n’était pas suffisamment motivée ». Et pour son renvoi, « tant sur la forme que le fond, laz procédure ‘’disciplinaire’’ employée à l’encontre de [mère Marie Ferréol] n’a pas été respectueuse du droit canonique et des principes généraux du droit, conduisant à qualifier d’abusives les décisions prises à l’encontre de l’intéressée par le cardinal Ouellet, lesquelles ont été génératrices de préjudice pour elle ».

Fort logiquement, il est reconnu qu’il a « commis des fautes qui ont contribué pour une large part aux préjudices matériel et moral » subi par mère Marie Ferréol, et le tribunal fixe cette « part prépondérante de responsabilité » à « 60% », contre 20% pour les visiteurs canoniques et autant pour la congrégation.


Le cardinal Ouellet doit payer une large part du préjudice et des dépens

Pour rappel, comme l’expose le jugement, mère Marie Ferréol demandait « 804.144 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel subi du fait de la perte de conditions de vie matérielle et de la disparité crée entre ses conditions de vie et celle des autres membres de l’association des Dominicaines du Saint-Esprit, 50.000 euros en réparation du préjudice moral du fait des souffrances causées, 20.000 euros en réparation du préjudice moral du fait de l’atteinte à son honneur et à sa vie privée », ces trois sommes devant être payées in solidum par les dominicaines de Pontcallec, Marc Ouellet et les visiteurs canoniques.

Et par ailleurs elle demandait, à la seule association syndicale de la congrégation de Pontcallec, « 60.183 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel subi du fait de l’absence de respect du devoir de secours ».

Pour ce qui est du devoir de secours de la congrégation, le tribunal reconnaît que « ce n’est pas aux tiers (amis ou famille) de suppléer la carence de l’association ayant renvoyé un de ses membres dans des conditions fautives », mais fixe ce secours, sur la base de 2229 euros par mois – chiffre tiré du barème du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté – et ce pendant 18 mois, l’intéressée se devant de retrouver un emploi stable. La congrégation, qui a déjà versé, comme on le sait, 6500 euros en deux fois, devra encore verser « 33.622 euros » à ce titre de devoir de secours.

Quant aux autres préjudices, le tribunal octroie 182.400 euros pour perte de condition matérielle – si elle était restée dans sa communauté, celle-ci, qui la logeait et la nourrissait, aurait aussi pris en charge ses vieux jours. Expulsée sans secours puis renvoyée, elle n’avait plus le droit à rien. Mais aussi 7000 euros pour préjudices physiques et moraux, 3000 euros pour l’atteinte à l’honneur et à sa vie privée – soit 182.400 euros au titre du préjudice matériel et 10.000 au titre du préjudice moral. Le jugement précise que « M. Marc Ouellet sera tenu à hauteur de 60% de ces sommes, l’association syndicale des Dominicaines du Saint-Esprit de 20% et M ; jean-Charles Nault avec Mme Maylis Desjobert à 20% ». Ils sont aussi condamnés « in solidum aux autres dépens » et « à lui verser une indemnité de 10.000 euros » au titre des frais d’instance – le cardinal Ouellet devra en payer 55%, les dominicaines du Saint-Esprit 35% et les visiteurs canoniques le reste.


« La reconnaissance qu’une injustice a été commise envers mère Marie Ferréol »

Dans son communiqué, maitre Gouvello, l’avocate de mère Marie Ferréol, se félicite de ce jugement de la justice civile bretonne et constate que « pour Sr Marie Ferréol, cette décision apporte un grand soulagement : la justice a pu constater avec objectivité qu’une injustice avait été commise, un abus de pouvoir avéré.

Ce jugement constitue une étape très importante en vue de sa réhabilitation. La reconnaissance de l’injustice, des irrégularités et fautes commises à son encontre, permettra d’avancer vers une réhabilitation morale et un retour à un statut de consacrée au sein de l’Eglise ».

A la une

S'abonner à notre lettre hebdomadaire

Si vous désirez recevoir régulièrement et gratuitement la lettre de Paix Liturgique, inscrivez-vous.
S'ABONNER

Paix Liturgique
dans le monde

Parce que la réconciliation liturgique est un enjeu pour toute l'Église universelle, nous publions tous les mois des lettres dans les principales langues du monde catholique. Découvrez et faites connaître nos éditions étrangères.

Télécharger notre application

Soutenir Paix Liturgique