Notre lettre 856 publiée le 5 avril 2022

IN MEMORIAM REGINALD DE FOUR

UN APOTRE DE LA LITURGIE TRADITIONELLE
DANS LE NOUVEAU MONDE


Nous publions, à l’occasion de son récent décès ( le 15 novembre 2021 à San Diego), un entretien que nous avait accordé il y a deux années le père Reginald De Four, un religieux de la congrégation des Pères du Saint-Esprit dont nous avions différé la publication pour un problème d’illustration ! Le père De Four, originaire de Trinidad-et-Tobago, est surtout connu de nos amis d’outre-Atlantique qui ont bénéficié de son zèle apostolique aux Etats-Unis et aux Antilles. Son témoignage exceptionnel est celui d’un prêtre ayant connu de l’intérieur les changements radicaux qu’a connus l’Église catholique depuis 60 ans et le constat qui l’a entrainé à devenir un missionnaire zélé de la liturgie traditionnelle.


Paix liturgique – Père De Four, vous êtes né dans une famille chrétienne de Trinidad

Père Reginald De Four – J’ai eu cette grâce…


Paix liturgique – Vous avez raconté dans la presse de Trinidad que votre mère vous avait consacré à la Vierge lorsque vous étiez un enfant.

Père Reginald De Four – Nous étions une famille nombreuse qui comptait 8 enfants ce qui donnait beaucoup de soucis à mes parents, d’autant que nous avions plusieurs fois été confrontés à la maladie et même à la mort. Ainsi, mon frère aîné était-il décédé à l’âge de six mois, emporté par une grave dysenterie. Rappelons qu’à cette époque il n’existait pas d’antibiotiques et que la mortalité infantile était très grande. Aussi, lorsqu’âgé de dix-huit mois – je suis né à Trinidad le jour de l’Épiphanie 1934 - je fus atteint d’une maladie semblable à un niveau très grave car le médecin avait déclaré à ma mère que si mes vomissements ne cessaient pas je ne pourrais échapper à la mort, ma mère qui ne voulait pas perdre un autre fils s’est tournée vers Notre-Dame en lui demandant ma guérison s’engageant que dans ce cas elle me consacrerait à elle.


Paix liturgique – Mais le saviez-vous ?

Père Reginald De Four – A ce moment j’étais encore un bébé et ce n’est que lorsque j’eu 15 ans que ma mère me révéla cette « consécration » dont j’avais été l’objet.


Paix liturgique – Qu’impliquait cette consécration ?

Père Reginald De Four – Je pense que ma mère qui était très pieuse ne m’a pas tout dit ! Mais nous avions une dévotion mariale très vivante. Ainsi récitions- nous chaque jour le chapelet en famille et mes parents ont eu le souci de me mettre dans une école catholique qui m’a permis de continuer à approfondir ma foi.



Paix liturgique – Car vous aviez la vocation religieuse ?

Père Reginald De Four – Lorsque j’étais enfant je ne pensais pas à cela mais je sais que mes parents avaient prié à cette intention depuis mon enfance et que sans doute ma mère avait demandé cela lorsqu’elle m’avait consacré à la Sainte Vierge. Mais ma démarche personnelle vers le sacerdoce et la vie religieuse s’est précisée après plusieurs années de discernement.


Paix liturgique – Pourquoi êtes-vous entré chez les Pères du Saint-Esprit ?

Père Reginald De Four – D’abord pour une raison simple : c’est chez eux que j’étais allé à l’école, au collège St-Mary à Port d’Espagne, à Trinidad. Je les connaissais donc et j’admirais leur Foi et leur apostolat. C’est donc naturellement vers eux que ma vocation naissante c’est dirigée.


Paix liturgique – Vous avez donc fait votre noviciat chez les Pères du Saint-Esprit.

Père Reginald De Four – Tout à fait ! Au Québec, dans une région au nom si « canadien » pensez « Au Lac au saumon » ! Mais ensuite j’ai poursuivi mes études au Canada et en Irlande puis, devenu Spiritain, j’ai exercé tous les apostolats que mes supérieurs ont souhaité me confier.


Paix liturgique – Ils furent très divers…

Père Reginald De Four – En effet, pour répondre aux différents besoins. Ainsi j’ai exercé longtemps dans nos collèges avec des missions aussi diverses que maitre des jeux ou professeur de mathématiques ou d’informatique mais aussi des taches de direction comme Préfet des études avec en plus d’autres apostolats comme des aumôneries d’hôpitaux ou encore comme secrétaire de la conférence épiscopale des Antilles. 


Paix liturgique – Mais vous avez aussi eu des rôles plus pastoraux ?

Père Reginald De Four – Oui car j’ai toujours consacré ma vie sacerdotale à la direction spirituelle et à la vie paroissiale et j’ai même fini par devenir l’initiateur et l’animateur d’une chapelle « latine » à Trinidad et Tobago.



Paix liturgique – Comme spiritain avez-vous connu monseigneur Lefebvre qui en était un membre éminent ?

Père Reginald De Four – Je l’ai rencontré de loin car nous étions nombreux et je n’étais qu’un simple membre de cette famille. J’ai été ordonné prêtre en 1964, le jour de Marie-Reine, sans doute un clin d’œil de la Providence à la Foi de mes parents.


Paix liturgique – Vous vous souvenez du chapitre de 1968 qui vit l’éviction de Mgr Lefebvre ?

Père Reginald De Four – Oui bien sûr ... je me souviens que Mgr Lefebvre y a été contraint à la démission par Les PP Lecuyez et Bondallaz. Mais pour être franc à l’époque j’ai compris cela comme un mouvement naturel de jeunes hommes qui voulaient remplacer les anciens ; car à ce moment personne chez les Pères du Saint-Esprit n’avait idée de là où nous conduirait l’aggiornamento de la congrégation.


Paix liturgique – Mais vous êtes resté fidèle à la liturgie traditionnelle de l’Église latine ?

Père Reginald De Four – Bien naturellement. Cette liturgie était celle de ma jeunesse, de mon ordination et de mes premières années de sacerdoce. Il était hors de question pour moi de la jeter aux orties.


Paix liturgique – Pour quelles raisons ?

Père Reginald De Four – Il y en eu plusieurs, qui se développèrent ensuite au cours de ma vie sacerdotale. Mais au commencement je dois dire que j’étais choqué que la messe de l’Église qui était célébrée depuis plus de mille ans soit reléguée puis pratiquement interdite et enfin remplacée par des cérémonies souvent choquantes qui ne m'ont jamais convaincu.


Paix liturgique – Vous pensiez qu’elle était un trésor…

Père Reginald De Four – Tout à fait, par le silence qui l’entoure, par ses cérémonies et ses rubriques qui soulignent si fortement la présence réelle de Jésus-Christ sur l’autel, je considère qu’elle est un trésor spirituel que doivent absolument connaître les fidèles et notamment les plus jeunes qui n’ont pas eu le bonheur de l’avoir connue dans leur jeunesse.


Paix liturgique – Mais l’on a fait et l’on continue à faire certains reproches à la liturgie traditionnelle.

Père Reginald De Four – Certes mais ces reproches nous permettent de répondre et d’expliquer pourquoi nous y sommes attachés et pourquoi nous voulons continuer à la célébrer surtout un demi-siècle après le concile dont nous pouvons désormais mesurer les fruits et les lacunes…

Prenons l’exemple de la langue latine : l’on nous dit que c’est une langue morte que personne ne comprend aujourd’hui et que pour cela il faut l’abandonner. Or, c’est justement parce que le latin d’Église est une langue morte que son usage est essentiel dans la liturgie - comme d’ailleurs dans la théologie - pour permettre, au travers des siècles de conserver dans la fidélité le sens des réalités spirituelles et théologiques qu’elle véhicule alors que l’utilisation des langues vernaculaires « vivantes » pose de grands problèmes justement à cause de leur caractère « vivant et changeant », dont le sens évolue en permanence dans le temps et dans l’espace. Moi qui suis de Trinidad aux Antilles, je sais que nous ne parlons pas dans notre île le même castillan qu’en Espagne ou au Chili, et aussi que c’est une langue différente que celle qu’utilisaient mes grands-parents ou que je trouve dans des textes pas si anciens que cela. Voilà donc à quoi sert le latin dans la liturgie : à faire passer des vérités théologiques et liturgiques de générations en générations, de siècles en siècles, aux quatre coins du monde sans en modifier le sens car exprimées dans une langue qui, n’évoluant pratiquement pas, peut rester très fidèle à notre foi. Cela nous l’avons vécu pendant bien longtemps dans notre congrégation missionnaire des Pères du Saint-Esprit qui était présente sur tous les continents.


Paix liturgique – Mais c’est aussi ce qui existe dans les autres religions

Père Reginald De Four – En effet, pensez aux musulmans qui prient dans la langue du Coran, rédigé au 7ème siècle, que ne comprennent plus les musulmans d’aujourd’hui, mais aussi aux juifs qui dans leurs prières et leur liturgie continuent à employer l’hébreu ou l’araméen ancien, sans parler des hindouistes qui continuent à utiliser le sanscrits.



Paix liturgique – Mais il reste la question de la compréhension des fidèles.

Père Reginald De Four – Aujourd’hui la plupart des fidèles peuvent tout à fait suivre et comprendre grâce à l’utilisation de livrets. Mais n’oublions pas que les liturgies participent à un mystère insondable qui dépasse – notamment grâce au silence – la seule raison raisonnante.


Paix liturgique – Il y a aussi ce reproche de voir le prêtre tourner le dos aux fidèles !

Père Reginald De Four – Comme si ces fidèles assistaient à un spectacle et qu’ils étaient mécontents de voir l’animateur de celui-ci leur tourner le dos. Mais c’est surtout parce que le prêtre n’est pas un animateur et que la messe n’est pas un spectacle que cela implique que tous les présents : prêtres, servants et fidèles soit ensemble tournés vers le Seigneur !


Paix liturgique – Vous insistez aussi sur le silence…

Père Reginald De Four – Un aspect primordial dans la liturgie et dans la prière. Il suffit d’assister à ces liturgies bruyantes de logorrhées pour être convaincu que nous ne sommes plus dans la vraie liturgie priante en présence du Seigneur.


Paix liturgique – Vous êtes donc resté fidèle à la liturgie traditionnelle ?

Père Reginald De Four – Oui, comme je vous l’ai dit, à la liturgie de mon ordination. Je rappelle que c’était il y a longtemps en 1964 ! Et je remercie Mgr Lefebvre d’avoir résisté à sa disparition : sans lui cette liturgie aurait sans doute disparu, alors que la poursuite de son combat liturgique a éclairé des hommes de bonne volonté et permis, avec la promulgation de Summorum Pontificum en 2007, une vraie renaissance de l’Usus antiquior [note de Paix liturgique : cet entretien s’est déroulé avant la promulgation du motu proprio Traditionis custodes].



Paix liturgique – Quelle est votre expérience comme chapelain de communautés attachés à la liturgie traditionnelle ?

Père Reginald De Four – J’en ai eu plusieurs, mais deux sont chères à mon cœur. La première fut celle qui se développa à San Diego en Californie dans la chapelle Saint-Anne des Oratoriens, une période passionnante où certains m’appelaient familièrement « Rex » sous le prétexte que j’étais né le jour de l’Épiphanie. La seconde est qu’ensuite je suis revenu à Trinidad pour y offrir ce service spirituel qui ne s’y trouvait pas encore.


Paix liturgique – Vous avez donc commencé la renaissance liturgique à Trinidad ?

Père Reginald De Four – Mon apostolat à Trinidad et Tobago s'est construit autour de la célébration de la Sainte Messe quotidienne 7 jours sur 7. A partir de cela s’est constituée une communauté qui, à l’origine, ne se composait que de quelques fidèles. Mais au fur et à mesure les fidèles ont eu besoin de se confesser. Puis nous avons commencé des heures saintes ainsi que des visites aux malades et ensuite les fidèles m'ont demandé de bénir leurs maisons. 


Paix liturgique – Vos fidèles étaient-ils nombreux ?

Père Reginald De Four – Au début seulement quelques-uns puis petit à petit la communauté s’est amplifiée avec des fidèles de divers horizons : des familles nombreuses, des couples mariés, des célibataires et des expatriés de tous d’horizons différents et provenant de certaines régions de Trinité-et-Tobago, des Etats-Unis, du Venezuela et de la France car la messe traditionnelle répond à un besoin universel et Trans-générationnel.


Paix liturgique – Une vrai paroisse.

Père Reginald De Four – Exactement ! Avec une messe basse célébrée les jours de semaine, une messe chantée deux fois par mois et une grande messe solennelle lors des fêtes. Sans oublier les heures saintes, les confessions tous les vendredis, le développement de la dévotion du premier vendredi et du premier samedi du mois mais aussi les visites aux malades et les bénédictions des maisons, des lieux d'affaires, ainsi que les sacrements, baptêmes, retraites, directions spirituelles, jours de récollection et chapelets.


Paix liturgique – Avez-vous remarqué que les fidèles catholiques ont besoin de la liturgie tridentine et pensez-vous vraiment que cette liturgie a un avenir?

Père Reginald De Four – Oui, j'ai certainement été témoin de ce besoin croissant au fil des ans à Pittsburgh, à San Diego et ailleurs. Surtout de la part des fidèles qui ont découvert ou redécouvert la liturgie traditionnelle. Cela a été le cas à Trinité-et-Tobago où les gens aspiraient à avoir la liturgie traditionnelle tous les jours pendant de nombreuses années. Un exemple est le groupe stable de fidèles qui s'est formé très rapidement dans la fréquentation des messes en semaine et du dimanche après mon retour il y a 3 ans. La liturgie tridentine a un avenir et doit demeurer. Elle doit sa renaissance à ceux dont elle a touché la vie et grâce en grande partie au motu proprio Summorum Pontificum du Pape émérite Benoît XVI et à tous les évêques, clergé, religieux et laïcs qui ont suivi son exemple à cet égard. De plus, cet avenir pour la liturgie traditionnelle est confirmé grâce aux catholiques sur les médias sociaux, les applications, les blogs et les sites web produisant un contenu traditionnel sain qui est authentique et catholique.


Paix liturgique – Une dernière question : quel conseil donneriez-vous à un jeune homme qui se sent attiré par le sacerdoce ou par la vie religieuse ?

Père Reginald De Four – Je lui donnerais 7 conseils :

1) Trouvez et choisissez un directeur spirituel.

2) Cultivez une profonde dévotion à Notre-Dame.

3) Passez au moins une heure chaque jour devant le Saint Sacrement.

4) Formez une vie de prière personnelle solide et continue et une vie de prière liturgique publique. Personnelle : chapelet quotidien, jeûne et abstinence, lecture spirituelle, méditation, autres prières de dévotion personnelles privées, dévotion aux saints et aux anges et utilisation des sacramentaux, pratique des œuvres spirituelles et corporelles de miséricorde, etc. Publique : assister fréquemment à la sainte messe, prier le chapelet ou l'office divin en commun avec les autres, heure sainte, confession fréquente, chemin de croix, processions, retraites etc.

5) Maintenez un mode de vie sain en mangeant sainement et en ayant un régime quotidien d'exercice physique, de corvées et de loisirs. Cultiver également des relations saines avec les amis, les connaissances et la famille.

6) Continuez à étudier, lire et écouter. Apprendre et réapprendre et désapprendre si nécessaire.

7) Avoir un programme, une  routine quotidienne,  hebdomadaire et  mensuelle englobant les points susmentionnés.


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